Du fond de son état d'inconscience, Zephyr avait l'impression d'être ballotté par des vagues invisibles dans un océan d'obscurité. C'était une sensation étrange qui semblait venir d'un endroit lointain, comme un écho. Il semblait vaguement au jeune homme que quelque chose lui échappait. Il força son esprit à se souvenir ce qu'il faisait avant d'en arriver là. L'image confuse d'une jeune fille flotta dans sa conscience. Les lèvres de la sorte d'indienne bougeait mais Zephyr ne parvenait pas à l'entendre. Il ressentit toute fois un net sentiment d'irritation. Doucement, les évènements lui revinrent en mémoire. La nana casse-pied, la Chose Violette, la migraine, les piafs, le noir....

A mesure que sa conscience prenait le dessus sur l'obscurité, le jeune Tweedle-Dee retrouvait un certain contrôle sur son corps. Lorsque son esprit et son corps furent enfin reconnectés, il s'efforça d'ouvrir les yeux. Ceci ne fut pas évident, étant donné que ses paupières semblait se faire plus lourde pour l'empêcher d'apercevoir le monde extérieur. En d'autres circonstances il aurait peut-être abandonné la lutte pour plonger dans le repos tant désiré mais le ballottement qui lui donnait l'impression d'être sur un navire en pleine mer n'ayant toujours pas disparu, il était intrigué et possiblement légèrement énervé.

Il s'acharna donc et les paupières récalcitrantes papillonnèrent quelques secondes avant de s'ouvrir complètement, laissant la lumière du jour attaquer ses pupilles. Le jeune Spade laissa échapper un grognement et bougea dans une tentative de protéger ses yeux de l'agressive clarté. C'est à ce moment-là qu'il se rendit compte qu'il ne se trouvait pas au sol. Il n'était d'ailleurs pas sur un navire non plus. Rempli d'appréhension, Zephyr monta ses yeux le long des manches violettes qui ne pouvaient appartenir qu'à une seule personne...

Les yeux de cendres s'agrandirent lorsqu'ils se posèrent enfin sur le visage impassible de la Chose Violette. Il se trouvait présentement dans les bras de l'intéressé, qui le portait comme si il s'agissait d'un sac de plume et - pensa Zephyr en palissant - de la façon dont on porterait une demoiselle en détresse. Réprimant un hurlement, l'adolescent se libéra de l'emprise de l'Harlequin, refusant de passer une seconde de plus pour une princesse faiblarde.

- Qu'est-ce que...?

Il n'acheva pas son cri étranglé, optant pour la solution forte. En un clin d'oeil son bras était devenu bleu et se dirigeait à une vitesse folle vers le visage de La Chose Violette. Alors que le poing translucide était sur le point de percuter l'homme en kimono, il se figea. L'action vive avait fait réapparaître les points noirs dans la vision du jeune homme et il devait bien avouer qu'il ne se sentait pas au mieux de sa forme. Ses jambes furent prises d'une soudaine faiblesse et lachèrent sous le poids de son corps.

- Fait chier! maugréa Zephyr au bord de l'inconscience, alors qu'il se préparait à percuter le sol.

Prendre congé de cette fille n'avait pas été une chose aisée, loin de là, par ailleurs. Mais au moins, il avait pu rencontrer le Cheshire Cat et parler avec lui et, comme ils le faisaient plutôt souvent, parler entre homologues. Il est clair que ceux qui n'étaient pas habitués à voir un énorme matou parler comme un humain seraient étonnés, mais l'Harlequin appréciait, affectionnait même, ses conversations avec le dirigeant des Clubs. Il venait juste lui rapporter quelques évènements, comme il le faisait souvent. Encore une fois...

Pendant tout ce temps, il avait toujours son ombrelle coincée entre le cou et l'épaule, et portait le Tweedle-Dee dans ses bras. Le Cheshire Cat ne s'était pas formalisé de cette présence, et ils n'avaient fait que déambuler à travers le Zoo, et peu d'hasards interrompirent leur conversation. Qui, comme souvent, visait à parler des Suits en général, et des White Cards pour sûr. Le premier hasard fut à propos d'une louve, imposante, très imposante même. Le Cheshire Cat la dépassait que d'un ou deux pouces, c'est dire. Et elle grognait à l'adresse de l'Harlequin, son homologue dut lui expliquer qui elle était. Et aussi, lui donna quelques directives à propos des visites qu'elle avait à assurer.

Le deuxième hasard, quant à lui, fut un peu plus problématique. Il n'était pas rare de voir des Hearts se balader un peu partout dans Circus, vu que ces derniers se prenaient un peu pour les rois du monde, mais il était en revanche très peu commun d'en voire une qui se faisait aborder de manière aussi virulente par deux Clubs. C'est après que la Heart soit partie et que le Cheshire Cat ait réprimandé les deux Clubs, qui partirent à leur tour, qu'il prit congé de l'Harlequin, vu qu'il devait retourner à son travail. Forcément. Il n'y avait bien que Chi pour être aussi paresseux quant à son fonction de dirigeant. Disons plus exactement qu'il s'en fichait et qu'il ne voulait pas gâcher son temps à la paperasse.

Il baissa sa tête quand il vit que Zephyr papillonait des paupières, ce qu'il trouva irrésistiblement... Il s'en fichait en fait, mais il attendait avec impatience la réaction du Spade lorsqu'il se rendrait compte d'où il était, avec qui, mais surtout comment il était. Ah, il allait avoir un divertissement... Quoique, son visage restait toujours aussi nonchalant et impassible. Il ne fut en revanche pas déçu par la réaction du bleu, qui mit de suite un pied à terre, se débarrassant de l'emprise de Chi. Qui resta totalement impassible au cri étranglé du Spade.

-" Qu'est-ce que... ? "

Chi laissa un sourire malicieux étirer les commissures droites de ses lèvres. Et oui, le petit chaton se trouvait bien dans les bras de Chi, l'Harlequin, dirigeant des Diamonds, et il peut aussi considérer cela comme un miracle de la science-fiction. Le bras devenu bleu, Chi le regarda diriger son poing droit vers son visage, ne cillant pas d'un pouce. Après tout, vu de la manière dont il ne se privait pas de se moquer implicitement de son appréhension de tout ce qui touchait à la féminité, il l'avait bien mérité, non ?

Oubliant totalement qu'il était à deux nanosecondes de se prendre un poing dans la figure, il se remit en question et poussa une réflexion sur lui-même. Il se trouvait extraordinairement clément aujourd'hui. Ou bien sa discussion avec le Cheshire Cat l'avait calmé, eux deux qui ne se privaient pas de se moquer de ceux qu'ils n'appréciaient pas. L'Harlequin lui se moquait pas mal, derrière comme face aux personnes concernées. Difficile de le considérer hypocrite en sachant cela. Il considéra de nouveau Zephyr quand ce dernier vacilla avant même de n'avoir atteint l'Harlequin.

-" Fait chier ! "

Impassible, Chi se contenta de tendre les bras et de rattraper Zephyr pour n'éviter qu'il ne rencontre le sol. Bon, le petit détail qui change tout, c'est que le Tweedle-Dum ne put rater la gorge de Chi, et une entaille se fit voir, avec le sang qui coulait lentement, passant sur les bandelettes éparses qui recouvraient partiellement son torse. Une ligne rouge qui n'avait pas ciller l'Harlequin, si ce n'est qu'il ressentait une douleur du côté gauche de son cou. Il voulait que Chi le laisse tomber ? Et bien soit. De force, il assit Zephyr au sol, et s'assit en seiza face à lui, un sourire flottant sur son visage.

-" Si vous tenez vraiment à arriver à aligner deux pas, prenez ceci, cela vous préservera du soleil.

Il lui tendit son ombrelle japonaise, et, sans lui demander son avis, la posa sur l'épaule du Spade, de façon à ce que les rayons du soleil n'atteigne pas son pauvre cerveau violent. Ceci fait, il se rassit en seiza, sachant pertinemment que le Tweedle-Dee n'allait pas louper de crier, d'hurler sa frustration, et de réessayer de frapper l'Harlequin au passage. Ce qu'il attendait avec impatience. Avant cela, il lança une phrase, destinée à apaiser les tensions. Enfin, avec un Spade, le Tweedle-Dee plus encore, il fallait s'attendre à tout...

-" Et je ne prendrais pas un homme dans le besoin pour une fille détresse... Dake.. "

L'injure, légère, était sortie toute seule ; l'Harlequin s'amusera toujours de la façon dont Zephyr prenait tout trop à cœur et souvent de travers - ironie -, mais ici, le " Dake " était plus dû à la situation qui l'agaçait. Chi n'appréciait pas les malentendus, et à ce niveau-là, le Spade était un dieu pour en créer. Sans gêne aucune, Chi sortit une feuille, la fit rouler entre ses doigts avec une délicatesse insoupçonnée, et la rangea dans l'une des innombrables fioles dans son manteau. Ceci fait, il regarda Zephyr, impassible. Le spectacle allait commencer...

Zephyr mit quelques secondes à se rendre compte qu'il ne s'était finalement pas écrasé disgracieusement au sol. Il cligna les yeux dans une tentative, heureusement fructueuse, de disperser l'obscurité qui n'avait de cesse d'envahir sa vision. Sa vision enfin revenue à la normale il put admirer le filet rouge vif qui ornait désormais le cou de la Chose Violette. Il admira la ligne sanglante pendant quelques instants avant qu'il ne lui vienne à l'esprit qu'il y avait de fortes chances qu'il était lui-même la cause ce la blessure.

Sa constatation à peine faite, le jeune homme fut forcé à s'asseoir sur le sol par l'homme en kimono qui avait visiblement stoppé sa chute. Légèrement ahuri, le Tweedle-Dee regarda l'Harlequin s'asseoir en seiza face à lui.

-" Si vous tenez vraiment à arriver à aligner deux pas, prenez ceci, cela vous préservera du soleil.

Zephyr ne répondit pas. Il réagit à peine lorsque l'homme au kimono violet posa son ombrelle sur l'épaule du jeune homme. Ses émotions et réactions étaient comme étouffées par l'atroce douleur qui tambourinait dans son crâne et l'infernale chaleur qui faisait bouillir son sang. Il allait mal, il allait même très mal et ça l'inquiétait. Il fallait dire que Zephyr avait été, et était encore aux yeux de certain, un enfant solide. Il tombait donc rarement malade et pouvait compter sur les doigts d'une main les fois où il avait dut prendre du repos pour se remettre d'une maladie.

Ce mal étrange qui lui tombait dessus soudainement était donc source d'inquiétude pour lui. La douleur était d'une nature inconnue et la soudaineté des symptômes le surprenait plus encore. Si seulement cette foutue gamine ne l'avait pas traîné dans tous les coins du zoo! Si seulement il avait piqué un coup de gueule chez le Mad Hatter un peu plus tôt! Si seulement Gale et Tempest ne l'avaient pas laissé seul....

Le jeune homme ferma brièvement les yeux et s'efforça d'éloigner son esprit de ces noirs pensées. Ce qui était fait était fait et il n'y pouvait pus rien. Il se remettrait bien assez tôt de ce coup de fatigue et on en parlerai plus.

-" Et je ne prendrais pas un homme dans le besoin pour une fille détresse... Dake.. "

Les yeux de cendre se posèrent sur l'Harlequin qui mine de rien venait de l'insulter. Encore une fois, Zephyr ne régit pas se contentant de tourner un visage blasé vers la Chose Violette. Il ne se sentait ni la force ni la volonté de commencer à se battre, d'autant plus qu'il détestait la violence.

Regarder l'homme en kimono, lui fit se rappeler l'entaille qui ornait le coup de l'homme. Comment était-ce arrivé? Il savait bien que son poing durcissait lorsqu'il devenait bleu mais s'il ne le transformait pas en lame il ne pouvait couper. Mécaniquement le regard de cendre se porta sur son bras droit. Aussitôt le jeune homme écarquilla les yeux. Son bras qui aurait déjà dut revenir à la normale était bleu. Mais ce n'était pas l'unique problème. En plus d'être de la teinte bleuté légèrement translucide typique de ses transformations, le bras de Zephyr était recouvert d'écailles et ses doigts se terminaient par des griffes tranchantes.

- Qu'est-ce que c'est que ça? marmonna le Tweedle-Dee fronçant les sourcils.

L'Harlequin complètement oublié, il entreprit d'essayer de retourner son bras à son état normal. Il essaya d'abord de se concentrer afin d'annuler la transformation mais la violente migraine qui l'assaillait rendait cela difficile. Quelqu'en soit la cause, la tentative fut un échec. Son inquiétude grandissant, le jeune homme pensa à essayer de simplement bouger ce bras devenu étrange. Il parvint sans difficultés à faire bouger son bras et ses doigts, ce qui le rasséréna quelque peu. Restait à savoir ce qu'il allait faire pour le ramener à la normale...

Délaissant l’espèce de parasol, Zephyr se remit sur ses pieds. Il vacilla, étant aussitôt prit de vertiges. Il parvint néanmoins à rester perpendiculaire au sol. Il porta une main à son front et soupira. Ça n'allait pas être facile de retourner sur le territoire des Spades dans cet état. Mais où d'autre pouvait-il aller? Vu la réaction de la foule à la vue de son bras bestiale, il y avait de grandes chances qu'on ne le laisse pas entrer dans l'infirmerie du zoo. De toute façon il ne restait qu'à tenter...